Emotion, Mémoire, Conscience et Musique
Il existe de très nombreux ouvrages, articles, théories et manières d’appréhender le concept des émotions. Dans cette publication, je vous propose de faire le lien entre les émotions, la mémoire, et la musique. J’aborderai des notions telles que la conscience et l’inconscient, la mémoire implicite, pour terminer par quelques effets de la musique et de la musicothérapie sur notre développement personnel.
Les livres ne sont pas faits pour être crus, mais pour être soumis à l’examen. Devant un livre, nous ne devons pas nous demander ce qu’il dit, mais ce qu’il veut dire. (Umberto Eco, Le nom de la rose)
L’émotion peut se définir comme un phénomène composé de plusieurs réponses : motrices et physiologiques, cognitives, affectives. Elle reflète et/ou révèle notre vécu subjectif dans un événement interne ou externe. L’émotion nous permet tout autant d’agir que de réagir à notre environnement. Elle fait partie de notre vie affective et relationnelle.
L’émotion a des caractéristiques sociales : elle peut être adaptée ou inadaptée à un contexte social spécifique. Elle peut être vécue, interprétée et agit individuellement ou collectivement. Elle nous permet de communiquer, de créer et d’entretenir nos relations.
Pour Joseph Le Doux (1998), émotion et sentiment se confondent. En revanche, dans Le Sentiment même de soi, Antonio Damasio (1999) insiste sur la distinction à établir entre ces deux notions. Quand les émotions sont visibles, traduites par des expressions faciales ou des actions de fuite ou de combat, les sentiments eux, sont privés, ressentis par l’individu sans que cela paraisse publiquement.
La conception de Damasio affirme que sentiment et pensée sont intimement liés. On peut dire que le sentiment est une pièce de monnaie qui d’un côté représente la pensée et de l’autre l’émotion.
A quoi sert l’émotion et comment elle est déclenchée ?
Un déclencheur provoque une réaction émotionnelle. Cette réaction peut varier, pour le même déclencheur, en fonction du contexte, et, de l’état de conscience dans lequel nous sommes au moment ou ce déclencheur se présente à nous.
Cet événement peut être externe, ou interne, à savoir une pensée (souvenir, souci, anticipation, etc.). Beaucoup de nos émotions sont uniquement déclenchées par le contenu de nos pensées, sans qu’aucun événement se soit produit dans l’instant présent.
La cause des émotions ne se trouve donc pas à l’extérieur de nous, mais à l’intérieur : c’est notre façon de considérer les événements et d’y réagir.
Quand la réflexion nécessite de précieuses secondes, les émotions s’activent instantanément et permettent de réagir immédiatement. Elles sont comme des antennes intérieures. Ce sont elles qui ont permis à nos lointains ancêtres de survivre.
L’émotion permet d’adapter nos actions pour maintenir le cap
Les comportements associés aux émotions favorisent la survie. Par exemple, face à la perception d’une menace, nous l’assimilons à un danger, la peur s’active et pour nous protéger, nous allons fuir.
Lorsque nous faisons face à un obstacle, la colère ressentie va nous amener à nous défendre face à ce que notre système perçoit comme un opposant.
La joie ressentie dans une situation va nous conduire à vouloir reproduire et partager cette situation. Notre système va nous conduire à désirer la possession de profit supplémentaire en cherchant à reproduire ce qui nous a amené le gain.
Lorsque nous perdons quelque chose ou quelqu’un, la tristesse ressentie face à cet abandon va nous conduire à pleurer, afin de recevoir l’aide et la protection d’autrui.
Lorsqu’un évènement inattendu nous surprend, cette émotion de surprise va nous permettre de stopper ce que nous faisons afin d’examiner ce qu’il s’est passé et que nous n’avons pas compris sur le moment.
Quant au dégoût, il induit une réaction de notre organisme pour nous protéger des intoxications et infections. Il produit ainsi des réactions corporelles comme la nausée ou les vomissements afin d’expulser ou de rejeter ce qui viendrait perturber l’homéostasie.
Lien entre émotions et valeurs morales
Durkheim (1912) s’est intéressé à la honte comme autorégulation comportementale. Elle résulte, selon le sociologue, de l’intériorisation du jugement des autres à propos de son propre comportement.
Tappolet (2000) nous dit que les émotions nous révèlent les valeurs auxquelles nous adhérons et nous conduisent à réviser les attentes qui ne sont pas nos vraies valeurs. D’après lui, c’est la répétition des émotions qui nous conduit à changer nos attentes, sauf si l’attente correspond à une valeur fondamentale. On change une attente ou une croyance pour éviter une émotion pénible ou pour obtenir une émotion que l’on juge positive.
- La tristesse (et la déception) : nos attentes sont trop élevées
- L’angoisse : nous sentons l’urgence d’une révision sans savoir comment faire
- L’ennui : nous n’avons pas de quoi réviser nos attentes
- La gêne : si autrui semble exiger de nous une révision
- Le rire : si autrui ne semble pas capable d’une révision que nous pensons évidente.
Si nous ressentons une tristesse à chaque déception dans nos relations interpersonnelles, nous allons réviser nos attentes et croyances à la baisse afin d’éviter cette tristesse. Si, malgré la répétition, nous ne procédons pas à une révision de notre valeur, c’est que cette valeur est essentielle pour nous.
Mémoire émotionnelle : entre la Conscience et l’Inconscient
« La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient » Gabriel Garcia Marquez
Notre mémoire nous permet de nous situer dans le temps et l’espace. Nous sommes comme une succession de souvenirs qui nous permet de se remémorer le passé afin de se tourner vers l’avenir.
Mais elle est loin d’être infaillible. Des recherches ont montré qu’il est possible d’induire de faux souvenirs quand d’autres ont montré que nous nous remémorons plus facilement les souvenirs dans lesquels des émotions fortes ont été suscitées.
Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, l’inconscient n’est pas une force obscure dont il faut se prémunir. Un de ces rôles est d’établir des prédictions sur notre environnement, et de guider l’action.
L’inconscient cède la place à l’analyse consciente lorsque des imprévus apparaissent et que les prédictions s’avèrent erronées. L’émotion de surprise nous amène ainsi à faire de la prospection. En fonction de notre vécu, d’autres émotions viendront se mêler comme la peur, la tristesse ou la joie par exemple. L’inconscient et la conscience œuvrent ensemble dans notre esprit pour nous permettre de réagir à la situation.
Le terme « inconscient » recouvre plusieurs désignations : les perceptions subliminales, les mouvements automatisés, les associations spontanées ou les inférences implicites, voire les stéréotypes qui guident nos attitudes sans que nous le sachions.
Nous sommes des êtres à la fois conscients et inconscients.
De façon générale, plus l’influence de l’inconscient est forte, plus le contrôle cognitif conscient doit être important pour la surmonter. C’est le cas notamment lorsque l’on est sujet à des compulsions alimentaires, des dépendances à l’alcool, etc. Les pulsions deviennent difficiles à maitriser dans ces cas.
La conscience semble reliée à nos sens. Ce qui est conscient, se sont des contenus, des souvenirs ou représentations dont on peut faire l’expérience sensorielle dans l’instant présent. Par conscience, j’entends ici le fait d’occuper un état mental ou de disposer d’un contenu mental, mais pas seulement ; il s’agit aussi de savoir que l’on occupe cet état ou que l’on possède ce contenu mental.
Il est difficile de faire la distinction entre notre expérience d’une part, et nos jugements ou suppositions sur cette expérience d’autre part. C’est pourquoi la barrière entre ce qui relève de la conscience et ce qui relève de l’inconscient est vraiment difficile à établir.
Lorsque l’inconscient semble fonctionner avec le principe de plaisir et de désir, la conscience elle, est tournée vers l’intentionnalité, vers un but, un souhait. Parfois, nos désirs ne semblent pas en adéquation avec nos souhaits. Mais à l’heure actuelle, difficile de pouvoir prétendre définir ni la conscience ni l’inconscient de manière ferme car de nombreux courants et théories divergent.
L’émotion est assimilable à l’expérience du ressenti corporel
Dans les premières années de vie de l’enfant, la mémoire s’imprime corporellement et émotionnellement. On l’appelle aussi la mémoire implicite.
Les premiers mois de notre existence de bébé, nous commençons à nous différencier. Nous expérimentons la vie à travers nos sensations corporelles en lien étroit avec nos émotions. Chaque sensation a une couleur émotionnelle. En grandissant, nous devenons capable d’associer à nos ressentis des pensées et du langage, notamment grâce à notre entourage qui viendra mettre des mots (ou pas!) sur nos éprouvés.
L’acquisition du langage contribue ainsi à former et à conserver les souvenirs dans la mémoire, car les mots que nous entendons dans notre enfance participent à modifier nos réseaux de neurones. On garde plus facilement en mémoire l’information que nous comprenons, celle qui trouve du sens et peut se raconter sous forme de récit.
Mais parfois, de façon ponctuelle ou répétée, il n’est pas possible d’intégrer l’expérience émotionnelle, de lui donner du sens, et celle-ci se retrouve écartée du psychisme afin d’éviter d’être débordée. Ces parties émotionnelles dissociées vont alors être réactivées lorsqu’un élément de la réalité externe vient en rappeler un aspect. Plus ces expériences émotionnelles non intégrées interviennent tôt dans notre histoire de vie, plus elles apparaitront de manière inconsciente et se rejoueront dans notre vie d’adulte.
La musique, le cerveau et les émotions
L’émotion s’observe, se raconte, s’illustre dans l’art et la culture
Dans la Grèce antique, la musique était déjà utilisée pour provoquer une catharsis. C’est au début du XXe siècle, que différentes approches fondées sur la production et l’écoute musicales s’imposent comme des aides thérapeutiques dans le traitement des troubles mentaux et psychologiques.
On retrouve la musique partout et à toutes les époques. La musique est définit comme une technique et un art de combinaisons des sons. Partout où l’émotion est suscitée dans l’art et la culture, la musique est présente.
Pour la majorité d’entre nous, la musique est un moyen privilégié pour moduler nos émotions. Dès la naissance, nous y sommes sensibles et le chant est particulièrement efficace pour réguler les émotions des nourrissons, par des berceuses qui calment ou des comptines qui éveillent.
Des recherches ont montré que le chant maternel produit une augmentation de l’ocytocine chez les bébés. Cela favorise l’attachement et la confiance. L’ocytocine est en lien avec le stress et l’anxiété, elle contribue à organiser nos comportements sociaux.
Existe-t-il une zone spécifique dans le corps où siègent nos émotions ?
Depuis la fin des années 1990, le système limbique comme siège des émotions est fortement remis en question. Certains chercheurs vont même jusqu’à en faire un concept obsolète. Dans un article extrait de la revue « Science et Vie », nous retrouvons une étude utilisant l’imagerie cérébrale afin de rendre compte des activations dans notre cerveau de 5 grandes émotions.
Comme nous pouvons le voir, ces émotions suivent des chemins neuronaux différents, dans différentes régions de notre cerveau. La musique active également de nombreuses régions différentes en fonction de la manière dont nous l’utilisons : écoute, production, rythme, etc.
Quelques données sur l’aspect neurobiologique de la musique
La musique fait appel à toutes les parties du cerveau, aux zones les plus anciennes comme aux plus récentes, qu’il s’agisse d’écoute ou d’exécution. Elle favorise la communication de nos deux hémisphères et les liaisons à l’intérieur de chaque hémisphère.
La musique nous permet de modifier notre humeur du moment. Cela peut s’expliquer par les liens qui existent entre le cortex auditif et le système de récompense dans le cerveau et par la dopamine.
Des apports bénéfiques de la musique
Ces vingt dernières années, la musique s’est imposée dans la prise en charge de la douleur. Elle aide en effet à contrecarrer les émotions négatives qui lui sont liées, par les ressentis positifs qu’elle inspire, et détourne l’attention de la souffrance physique. Dans le cerveau, on voit que ces deux mécanismes, émotionnel et cognitif, modulent les réactions du système de la douleur.
La synchronisation des mouvements est connue pour augmenter les sentiments d’empathie et de confiance. Les chercheurs ont appuyé leur conclusion sur le fait que la musique entraîne également une contagion émotionnelle. La musique facilite cette contagion car elle capture et concentre l’attention de tous sur une même séquence temporelle d’événements. Cela entraîne ainsi une harmonisation de l’état psychologique des personnes présentes, ce qui augmente leur empathie mutuelle.
De plus, de nombreuses études confirment l’aspect facilitant de la musique pour produire du langage. De nombreux patients aphasiques perdent leur capacité à parler, mais ils conservent parfaitement leur chant, ce qui indique l’existence de mécanismes différents pour le chant et le langage oral. Ainsi, la prononciation des mots s’améliore en présence d’une mélodie simple.
Un autre effet de la musique dans notre vie relationnelle : une étude publiée en 2019 par l’équipe de Laurel Trainor, de l’université McMaster, au Canada, a analysé l’apport de la musique dans le cadre de rendez-vous de type « speed dating ». les résultats ont montré qu’à attirance physique égale, les participants avaient davantage envie de poursuivre leur rencontre lorsque la musique était dansante et que les participants avaient bougé de façon synchronisée.
La musicothérapie et les émotions
La musicothérapie, comme les autres thérapies par l’art, permet d’exprimer ses émotions et son affectivité sans nécessairement passer par les mots. Elle permet de revivre, dans un cadre thérapeutique, l’activation de certaines expériences émotionnelles pour lesquelles nous n’avions pas pu leur donner de sens.
Dans le cerveau, la musique stimule les circuits des émotions, avec de possibles répercussions sur les systèmes cardiovasculaire, respiratoire,musculaire et végétatif.
La musicothérapie est une méthode qui permet d’explorer et de développer ses compétences de communications, en travaillant sur son estime de soi, sa confiance en soi et sur l’affirmation de soi. L’interaction musicale avec le thérapeute ou en groupe amène à découvrir des éléments sur soi-même, puis à extérioriser, organiser et réintégrer ses sentiments.
La musicothérapie pour rechercher du sens dans son vécu
Par l’intermédiaire de la musique, chaque individu peut s’engager dans une recherche de sens en lien avec son propre vécu. En rejoignant la personne en souffrance dans son univers musical, le musicothérapeute peut l’accompagner à donner du sens à ses expériences émotionnelles réveillées par la musique.
Selon Salmon (1995), la musique et les émotions partageraient un terrain commun qui réside dans l’interrelation entre les phénomènes de tension et de résolution. Dans cette perspective de tension et de résolution, le musicothérapeute adapte judicieusement les éléments musicaux afin de soutenir le patient dans l’expression des affects qui l’habitent tout en l’aidant à y trouver l’apaisement dont il a besoin.
En mettant le corps en mouvement, et, en éveillant les circuits émotionnels, la musicothérapie va chercher notre part créative, l’enfant intérieur, l’enfant des premiers mois et des premières années de vie, celui qui n’avait pas encore la possibilité de parler avec des mots ou de comprendre tous ces mots autour de lui. Cet enfant qui a grandi dans un bain de langage, où les mots vibrés mélodiquement.
En guise de conclusion
Aucune émotion n’est en elle-même positive ou négative, c’est notre manière de juger les émotions qui va déterminer notre façon de les accueillir et de les accepter. Derrière l’expression de nos émotions il y a la possibilité de créer et d’entretenir nos relations. Nous devenons ainsi plus réceptif à accueillir la différence, moins aux prises avec nos stéréotypes, nos automatismes inconscients.
Des études ont démontré que les émotions, les récits de vie et les lieux permettent le mieux de se souvenir des évènements. Ainsi, les rappels de nos souvenirs sont d’autant plus preignants qu’ils contiennent cette combinaison.
Et quoi de plus évocateur que la musique pour cela ? Cette musique que l’on écoutait dans l’adolescence et qui nous plonge aussitôt dans cette période, qui vient activer tout un ensemble de réseaux neuronaux, tout un ensemble de souvenirs. Par cette réactivation en séances où la musique est utilisée comme média, il est possible d’y mettre une compréhension nouvelle, de donner un autre sens à des expériences passées dans un cadre sécurisant, afin de développer de nouvelles ressources.
Lorsque l’on est en mesure de bien vivre ses émotions, de les accepter comme des guides intérieurs, sans rester accrocher aux sentiments qu’elles nous procurent, alors nos jugements intérieurs, envers soi ou les autres, sont de moins en moins présents pour faire de la place à notre créativité.
Bon, je vous l’accorde, tout cela est bien plus facile à dire qu’à faire 🙂
Références bibliographique principales
Ouvrages et articles :
Lotstra, F. (2002). Le cerveau émotionnel ou la neuroanatomie des émotions. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, no<(sup> 29), 73-86. https://doi.org/10.3917/ctf.029.0073
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Chevalier C., Faire face aux émotions. Dunod édition (2006)
Cerveau et psycho n°107 de février 2019
Cerveau et psycho n°132 de mai 2021
Century, H. (2010). La musicothérapie. Le Coq-héron, 202, 94 114. https://doi.org/10.3917/cohe.202.0094
Liens pages internet :
Comment la musique aide votre cerveau (selection.ca)
Effets thérapeutiques de la musique sur le cerveau (neuronup.fr)